Rapport CHARPILLON-position du SNES

En préambule…

Le Syndicat National des Entrepreneurs de Spectacles, représentatif des tournées au niveau national, à l’origine de la convention collective des tournées, étendue en 1993, souhaite, sans attendre, apporter ses observations concernant les propositions formulées dans le projet de rapport, concernant le resserrement du champ d’application des annexes VIII et X, réservant aux seuls producteurs le champ du régime des annexes VIII et X.
Le Syndicat National des Entrepreneurs de Spectacles représente les entreprises de spectacle de la 2ème et 3ème catégorie, à savoir :

- les producteurs ou entrepreneurs de tournées, qui ont la responsabilité d’un spectacle et notamment celle d’employeur à l’égard du plateau artistique. (2ème catégorie de licence).
- les diffuseurs et/ou les entrepreneurs de tournées qui n’ont pas la responsabilité d’employeur à l’égard du plateau artistique (3ème catégorie de licence).

Le SNES rappelle que le législateur a considéré que les entrepreneurs de spectacles de 2ème catégorie étaient assimilés à des producteurs, dès lors qu’ils avaient la responsabilité du plateau artistique.
Le SNES rappelle que dans un Arrêt du Conseil d’Etat, les juges ont considéré que l’entrepreneur de tournée prenait un risque financier, équivalent à celui du producteur. Le risque financier étant considéré, non pas sur un spectacle, mais sur l’ensemble de la tournée ; l’entrepreneur de tournée reprenant les obligations du producteur, ne souhaitant pas assumer ces risques pour la tournée.
Le SNES souhaite par la présente, alerter le rapporteur sur les graves difficultés que pourraient engendrer les propositions visant à resserrer le champ d’application des annexes tel qu’il est mentionné dans le rapport.

Monsieur l’Inspecteur Général,

Nous avons pris connaissance du projet de note au Ministre de la Culture et de la Communication concernant les propositions d’une nouvelle définition du champ des Annexes VIII et X pour l’indemnisation du chômage des intermittents du spectacle.

Ce rapport appelle de notre part les observations suivantes :

-En premier lieu nous partageons vos analyses quant à l’accroissement du nombre des personnels intermittents et du peu d’efficacité des mesures prises par les différents gouvernements. Nous souhaitons toutefois rappeler le formidable développement qu’ont connu les activités culturelles dans notre pays depuis une vingtaine d’années.

-En second lieu nous ne sommes pas convaincus qu’une mesure visant à réserver le recours au CDD d’usage aux seuls secteurs d’activité couverts par des conventions collectives (simples ou étendues) soit efficace pour résoudre le déficit des Annexes VIII et X.
En effet, la plupart des secteurs d’activité sont couverts par des conventions collectives déjà existantes, notamment pour ce qui concerne le spectacle vivant, il est déjà couvert par un nombre significatif de conventions collectives :
-La convention étendue du SYNDEAC pour le secteur subventionné à laquelle sont adhérents le SYNOLYR, la CPDO et le SNDTV.
-La Convention collective étendue des Théâtres privés (SDTP)
-La Convention collective étendue des tournées (Convention SNES)
-La Convention Variété Jazz (PRODISS)
Pour la plupart celles-ci existent de longue date.

Par ailleurs le Spectacle Audiovisuel est lui-même couvert par un certain nombre de conventions collectives.
Il nous semble donc difficile de penser qu’en assujettissant le recours au CDD d’usage à l’existence de Convention collective, l’on puisse influer directement et assainir l’exercice de nos métiers afin de résorber le déficit des annexes VIII et X.
De plus, la question du domaine de recours au CDD d’usage et celle du champ des Annexes VIII et X sont distinctes en droit, la définition du champ des annexes relevant des partenaires sociaux.
Les conventions collectives ressortent de la négociation entre les partenaires sociaux, il nous semble important de leur laisser l’initiative afin que les accords pris ensemble puissent s’appliquer dans un consensus partagé et non imposé.

-En troisième lieu, nous avons été très surpris que n’aient pas été prises en compte dans votre rapport, les spécificités du métier d’entrepreneur de spectacle vivant et sommes très inquiets des conséquences économiques qu’entraînerait l’application des mesures que vous préconisez concernant la diffusion des spectacles en France.

La nouvelle définition que vous avez proposé, réserve uniformément, les annexes VIII et X à :
- la production de spectacles de création artistique
- la production cinématographique
- la production d’œuvres audiovisuelles,

Cette proposition ne peut en aucun cas recueillir notre accord pour les simples
raisons suivantes :

La question du resserrement du champ d’application, doit être très attentive à l’existence de chaque métier du spectacle et doit se pencher avec attention sur le contenu sémantique du terme de « Diffuseur » dans le spectacle vivant.
Pour cela il est indispensable à nos yeux de tenir compte des spécificités de chacune des grandes branches du spectacle enregistré et d’autre part du spectacle vivant, aucune solution ne pouvant s’appliquer de manière identique sans tomber dans des hypothèses de travail réductrices, qui pourraient conduire à la disparition de certains de nos métiers.

Du point de vue législatif

Le législateur a tenu à donner une définition précise, définissant le Spectacle Vivant comme étant la représentation, par un entrepreneur de spectacles devant un public d’une œuvre de l’esprit, par un artiste interprète ou musicien.

Cette définition qui fût longuement débattue lors de la réforme de l’ordonnance de 1945 n’a pas établi sur ces questions de distinction ; la loi considère de la même manière les personnels qui concourent à la représentation d’un spectacle, qu’il soit créé, produit ou diffusé.

La réforme de l’ordonnance de 1945 a classé les entrepreneurs de spectacles en 3 catégories toutes aussi fondamentales les unes que les autres et a d’ailleurs établi que chaque entrepreneur de spectacle pouvait selon les cas être titulaire de plusieurs licences de spectacles à la fois. C’est d’ailleurs, comme nous vous l’exprimions, pour une de ces raisons, que l’ordonnance de 1945, classe dans la même catégorie les producteurs et les entrepreneurs de tournées ayant la responsabilité du spectacle et notamment celle d’employeur à l’égard du plateau artistique.

En ce qui concerne les entrepreneurs de tournées de la 3ème catégorie de licence, une conception stricte conduisant à un resserrement du champ d’application des annexes reviendrait à exclure ces entreprises, du recours aux personnels intermittents du spectacle.
Cette hypothèse est totalement inadaptée à notre métier.

En effet, il arrive souvent que l’entrepreneur de tournées (3ème catégorie de licence), qui n’emploie pas le plateau artistique, emmène en tournée une compagnie de danse, un orchestre, une compagnie de cirque, un groupe d’artistes constitué…. Il est considéré, au sens de la loi, comme diffuseur, et recourt habituellement à l’emploi de personnels techniques intermittents, pour mener à bien ses tournées.

Il arrive même très souvent qu’un entrepreneur de tournée de la 3éme catégorie présente un spectacle chez un diffuseur (festival, stade, champ de course, Eglise, salle des fêtes…). Selon vos propositions, ni l’un ni l’autre ne seraient éligibles aux Annexes VIII et X, on comprend bien qu’il deviendrait très difficile, voir impossible de monter et de présenter des spectacles sans pouvoir recourir aux intermittents artistes et techniciens.

Si tel devait être le cas, les diffuseurs n’auraient plus la possibilité d’engager de personnels techniques intermittents, les spectacles étant à chaque fois uniques, il serait difficile alors, de respecter les exigences artistiques, ainsi que les impératifs de sécurité.

Nous attirons votre attention sur le fait que les entrepreneurs de spectacles sont tantôt entrepreneurs producteurs de leurs spectacles, ou tantôt entrepreneurs diffuseurs de spectacles déjà existants. Ils disposent alors de la 2ème et 3ème catégorie de licence.

De plus, la France accueille chaque année un grand nombre de spectacles étrangers, au cours desquels l’équipe artistique n’est pas employée par l’entrepreneur de tournée, même s’il se comporte comme le producteur. Il est alors le diffuseur du spectacle en France. C’est le cas de beaucoup de grandes tournées de Variétés, de tournées de compagnies de danse internationales, de tournées d’orchestres internationales, de tournées de cirque internationales.
Il apparaît clairement, que la seule notion de producteurs de spectacles n’est pas satisfaisante pour définir les critères de resserrement du champ d’application des annexes VIII et X.

On ne peut faire d’amalgame entre la diffusion du spectacle vivant et la diffusion du spectacle enregistré.
Nous pensons qu’il est important que les propositions du rapport ne créent pas d’amalgame entre les diffuseurs de l’Audiovisuel et du Cinéma, avec les diffuseurs du Spectacle Vivant, qui sont le plus souvent de petites structures, qui font tourner des spectacles constitués d’équipes techniques et artistiques restreintes.

Les diffuseurs du spectacle vivant et les entrepreneurs de tournées sont de petites structures économiquement très fragiles.
Nous ajoutons que les entreprises de tournées ne sont viables économiquement, que si elles emmènent en tournées plusieurs spectacles à la fois, sur des périodes plus ou moins courtes, durant la saison théâtrale ou musicale. C’est pour cette raison que ces entreprises ont des équipes permanentes extrêmement restreintes. Pour ces raisons, il apparaît inenvisageable à notre profession de voir s’opérer un « saucissonnage » qui aboutirait à stopper la diffusion des spectacles en France. Vous n’êtes pas sans savoir, que l’un des problèmes que rencontre aujourd’hui notre profession est que les spectacles subventionnés ou produits par des producteurs privés, ne sont pas assez diffusés en France et à l’étranger. La diffusion constitue l’un des axes prioritaires du Ministère de la Culture.

Enfin, il n’existe pas à notre connaissance, de producteurs de spectacles qui ne produisent un spectacle, pour qu’il ne soit diffusé le plus largement possible.

En conséquence nous devons nous interroger sur ce que recouvre le terme de
Diffuseur dans le spectacle vivant et considérer que la diffusion d’un spectacle
vivant ne peut s’apparenter à la diffusion d’un spectacle enregistré.

Chaque représentation d’un spectacle vivant nécessite que soient repris, le plus souvent possible, les mêmes artistes et personnels techniques qu’à la création.
Il est impossible de dissocier sur ce plan la production d’un spectacle vivant de sa diffusion, car chaque représentation, qu’elle ait lieu lors de la création ou en tournée est une nouvelle représentation au cours de laquelle les artistes et les techniciens participent à la représentation elle même et se doivent de reproduire le même spectacle avec le même niveau de qualité artistique.
L’entrepreneur de tournée se voit donc contraint de reprendre les mêmes équipes artistiques et techniques durant toute la tournée, cette obligation est le gage non seulement du maintien de la qualité artistique mais également de la sécurité des spectacles. Ceci n’est pas le cas pour le spectacle enregistré où l’œuvre a déjà été produite antérieurement et à laquelle la présence physique des artistes et des techniciens n’est plus nécessaire.

En ce sens le spectacle vivant pourrait être qualifié comme une exception dans l’exception culturelle et un traitement du chômage différent entre les artistes et les techniciens selon qu’ils sont engagés dans un spectacle présenté en « production » et/ou « en tournée » ou en « diffusion » serait profondément injuste (une telle disposition pourrait peut-être, même se révéler discriminatoire et engendrerait de plus, une forme de concurrence déloyale entre producteurs et diffuseurs).

Du point de vue économique

L’économie du Spectacle Vivant et sa vivacité sont le fruit d’un processus qui associe de manière unique et indissociable, la création, la production et la diffusion.
Les mesures proposées pourraient avoir des conséquences économiques graves sur l’emploi de milliers d’artistes et de techniciens en tournée entraînant des conséquences sur les personnels administratifs et techniques permanents.

Nous rappelons qu’à un moment où le Ministère de la Culture demande à tous les théâtres de développer la diffusion de leurs spectacles, il semblerait illogique que puissent être prises des mesures qui mettraient un frein à la diffusion des spectacles vivants.

Ainsi nous vous demandons de revoir votre opinion pour ce qui est des spectacles emmenés en tournées ou diffusés par les entrepreneurs de spectacles en ne proposant pas d’exclure les diffuseurs du spectacle vivant du champ d’application du régime des annexes VIII et X et qu’ils puissent continuer à avoir légitimement le droit de recourir au CDD d’usage.

Nous espérons ainsi vivement que vous pourrez tenir compte de nos observations dans votre rapport.

Nous nous tenons, bien entendu, à votre disposition pour vous rencontrer si vous le jugez nécessaire et vous prions de croire, Monsieur l’Inspecteur Général, à l’assurance de notre très vive considération.

Philippe Chapelon

Délégué Général